L’ancien mode de gouvernement et le nouveau
Le mode traditionnel de gouvernement était structuré en forme de pyramide. À l’intérieur de la structure générale, les gens étaient dépendants les uns des autres selon des liens qui reproduisaient cette forme. Une multitude de structures semblables, plus petites, se succédaient de place en place de la base jusqu’au sommet. Les structures plus hautes avaient autorité sur les structures plus basses. Dans chaque secteur, la tête avait autorité sur la base et aussi la représentait, la défendait, auprès des autres secteurs. Les sociétés traditionnelles étaient des pyramides de groupes sociaux posées les unes sur les autres, tenues entre elles par une multitude de micros délégations de pouvoirs inter reliés. Des micros autorités s’additionnaient à d’autres micros autorités dans une mécanique d’autorité générale.
Nous pouvons aussi comparer cette structure à la structure d’un cercle, si le sommet de la pyramide est le centre d’un cercle, plusieurs pyramides peuvent converger vers ce centre et compléter le cercle en se plaçant côte à côte. Alors le mouvement de l’autorité va du centre vers la périphérie. Les deux représentations illustrent le système ancien, aussi bien l’une que l’autre.
Le mode contemporain de gouvernement est structuré sur un système binaire. Toute décision est prise sous la forme oui/non. La hiérarchie dépend du pouvoir de dire oui. C’est ce pouvoir qui détermine la position hiérarchique. Le mode de pouvoir contemporain n’a pas de forme géométrique. Il est flexible, flottant, immanent. La qualité qui donne potentiel au oui est la possession supérieure de l’argent. Celle qui impose le non est l’insuffisance d’argent. Une infinité de décisions sont prises de place en place, mais seules les décisions supérieures passent, les inférieures sont disqualifiées, par nature, sans intervention, sans répression aucune, par la logique du système binaire. Cependant, toute décision demeure anonyme, ce qui crée le caractère immanent de ce type de gouvernement.
Le nouveau système reproche à l’ancien d’être autoritaire. Effectivement, l’ancien système est autoritaire. Les positions supérieures dans les anciennes dépendances placent les innombrables chefs et petits chefs en position d’être jugés. S’ils ne sont pas corrects et méritants, ils usurpent leur position. La critique est vive à leur encontre. Car les anciens ne peuvent pas fuir leurs responsabilités. Ils sont exposés à la critique de la hiérarchie, au-dessus d’eux et à la critique de leur base, en dessous. La culture moderne amalgame l’idée d’autorité et celle de dictature. Or, bien que l’ancien système puisse facilement devenir dictatorial, ce n’est pas sa nature. Dans sa fonctionnalité normale, il est tout simplement autoritaire. C'est-à-dire composé d’une succession de personnes en position d’autorité. Mais, ils ne sont pas censés défendre des intérêts propres, seulement ceux de la communauté.
Dans les activités traditionnelles, les groupes cooptent des chefs. Des mécanismes se mettent en place de micro-délégations de pouvoirs, généralement consentis par les groupes à ceux qui semblent les plus habiles à défendre le bien commun. Rôles qui sont avant tout serviables et qui ont tendance à accroître les vertus des élus. Ils sont sous le regard public. Leur honneur est tenu en éveil. Même si au départ ils ont quelques vices, l’exposition publique tend à les ramener vers les vertus. Le système a aussi cet avantage de pouvoir critiquer, blâmer ou révoquer. Les personnes incriminées sont connues. Elles exercent leur fonction auprès des gens. Elles sont à la portée des mains de la foule qu’ils représentent. Le mécanisme pyramidal pour cela garantit la souveraineté des peuples traditionnels plus qu’il ne leur fait subir des dépendances prétendument sinistres. Quand un chef déçoit, la question se pose : Faut-il le remplacer ? Si oui, les nuisances provoquées par le remplacement, sont-elles inférieures ou supérieures à ces défaillances ? Tant qu’un groupe social peut se poser ce type de questions et mener ce type d’action, il demeure un groupe social souverain. Parfois, une personne en position de pouvoir secondaire dans le mode traditionnel commet délits, méfaits, mauvaises actions. Il pervertit le système, mais ne le met pas en péril. Cependant, si c’est la tête qui tient le pouvoir absolu, en haut de la pyramide qui faute, alors le système est réellement en péril. La population doit le destituer pour ne pas laisser le gouvernement coopté se transformer en tyrannie. La faiblesse du système réside dans la faiblesse des hommes.
Aujourd’hui, l’idée d’un mode de gouvernement autoritaire est associée aux notions de méchanceté et de souffrance. Cette dépréciation est le résultat des campagnes de dénigrement de son adversaire, qui lui a succédé au pouvoir. Il est vrai que l’autorité exerce des répressions, mais l’autorité par nature est une force collective qui peut tout à fait être gentille et festive. Son inclination spontanée l’oppose à la tyrannie. Cette dernière est imposée par la force contre le grès du peuple pour la seule raison qu’elle n’a justement pas d’autorité. Il s’agit d’un replâtrage artificiel d’autorité sur un pouvoir handicapé par sa carence. L’autorité ne s’épanouit que lorsqu’elle est agréée et élue. C’est l’absence d’autorité naturelle qui transforme un chef en tyran. Le chef naturel est aimé. Quand il n’est pas demandeur de gouverner et que la communauté le demande, l’autorité est à son apogée.
À tel prix ! Oui ? Non ? Le choix est toujours extrêmement simple. La non-pensée caractérise le système binaire de l’argent. Il ne s’agit plus de construire des projets, ni de se projeter sur le long terme en pensée, ni de faire le monde rêvé. L’être humain n’a plus, dans le nouveau système, accès à un tel niveau. Il a exclusivement accès à l’achat et à la vente. Le monde, hors de lui, est modelé par une implacable logique financière, dont les aboutissements sont inattendus et surprenants. Multitude de choix binaires d’acquisition et de vente, répondant à des impulsions ou des caprices privés modèlent le monde. Ce type de choix ne se discute pas, n’est susceptible d’aucune concertation, ni d’aucun jugement de la part de qui que ce soit. Les choix privés sont anonymes ou intouchables. Le nouveau mode de gouvernement ne supporte ni structure ni morale. Il impose la liberté comme une source sacrée à partir de laquelle la logique binaire immanente peut prendre le pouvoir et faire de l’espèce humaine ce qu’elle entend.
Si l’on en croit l’idéologie actuelle, il faudrait admettre que la femme traditionnelle était sous l’autorité de son mari. Le problème posé sans examen sérieux semble en phase avec l’affirmation. Toutefois, ce n’était pas le cas, chacun avait autorité dans son domaine. Il est vrai que le domaine masculin était aussi grand que le monde et que le domaine féminin était aussi petit que le foyer ; cependant l’un n’aurait pas survécu sans l’autre. Chacun était conscient qu’il ne servait à rien d’être un homme remarquable si sa femme était médiocre et inversement, si son mari était médiocre, il ne servait à rien d’être une femme remarquable. En conséquence, le respect mutuel et l’autorité reconnue ne pouvaient pas être en déséquilibre. Afin que les liens humains soient harmonieusement balancés, les autorités réciproques à l’intérieur des familles tendaient à s’équilibrer.
Si l’on en croit l’idéologie actuelle, les femmes n’auraient jamais eu la moindre autorité, mais c’est faux. Historiquement, la première défaite du mode de gouvernement autoritaire fut justement celle des femmes, qui perdirent dans les années vingt leur autorité au foyer. L’industrie et le progrès technique disqualifièrent le rôle féminin traditionnel. Coïncidence, à ce moment précis naquit le féminisme ! Mais ce n’en était pas une. Contrairement au féminisme post soixante-huitard le féminisme de l’entre deux guerres était justifié et opportun. Il aurait été extrêmement positif qu’il prospère. Les autorités de l’époque – qui étaient encore autoritaires – auraient été avisées d’octroyer aux femmes des discriminations positives massives. Elles n’ont pas soupçonné ce qui se tramait. Les femmes étaient désorientées, accumulaient les errances qui illustrèrent les années folles, comme des symptômes de détresse. La situation de la femme était alors trop incertaine pour être analysée et les femmes n’étaient pas en mesure de parler fort. Dans mon article du 5 mai, j’ai critiqué le féminisme actuel, aujourd’hui je fais l’apologie du féminisme d’avant guerre qui était pénétré d’humanité. La caste des hommes aurait été avisée de proposer - avant guerre - une autorité nouvelle aux femmes à leurs côtés. Ils ne le firent pas. Ils imaginèrent que leur autorité était éternelle. Ils ne devinèrent pas que leur tour allait venir bientôt, que l’industrie allait détruire méthodiquement leur propre autorité, comme elle avait déjà détruit celle des femmes. Destruction d’autant plus systématiquement que l’industrie tendait déjà la main à sa première victime, espérant en faire un allié. Le nouveau pouvoir offrit beaucoup plus à la caste des femmes que l’ancien. Ève qui avait perdu son autorité avait le choix d’opter tantôt pour le nouveau mode de pouvoir, tantôt pour préserver l’autorité masculine. Cependant, la caste des hommes s’illustra par son ingénuité. Elle ne vit pas la menace du mode de pouvoir émergent. Elle-même ne fit rien pour défendre l’autorité d’Homo Faber qui caractérisait les hommes depuis si longtemps, les femmes n’avaient aucune raison de le faire à leur place.
La caste des femmes hésita quelque peu, mais finalement s’allia au nouveau pouvoir, rejetant toute autorité dans les liens sociaux. Ce fut la fin de l’ancienne civilisation occidentale. Dans tous les pays occidentaux et sur les marches de l’Empire américain, l’argent pris le pouvoir seul. L’être humain mutant se vendit au nouveau pouvoir. Les civilisations traditionnelles n’étaient peut-être pas drôles, mais elles avaient l’immense avantage d’être encore gouvernées par des humanoïdes. La nouvelle civilisation n’a plus d’être humain à la barre. Ce qui explique que la civilisation semble dériver tranquillement vers une destruction de l’espèce. Parallèlement, d'autres civilisations traditionnelles perdurèrent en Asie, au Moyen Orient, de-ci, de là, notamment dans le Tiers Monde. Toutefois, elles ne pèsent pas lourd face à l’Empire américain. Leurs différentes autorités religieuses essayent bien de résister, mais leur potentiel d’opposition à l’Empire est faible.
Jamais l’Empire ne se sabordera lui-même. Il est utopique d’attendre un salut de sa part. Intra muros, toute autorité alternative au pouvoir de l’argent est groggy. La seule alternative de gouvernement sur le mode traditionnel est une naissance. Renaître de ses cendres ! Pour construire une alternative, il faut qu’Ève redonne son autorité à Adam et qu’Adam redonne son autorité à Ève. Alors en cascade, par mimétisme, il faut espérer refaire des liens sociaux humains, redonner autorité à la famille, à la communauté, remettre l’intelligence et l’esprit aux commandes.